La re-création du monde

par Jean-françois Neplaz, cinéaste, fondateur du collectif Film Flamme et de la revue Cinema Hors Capital(e)

 

A propos de POLOGNE

Ce film est le quatrième film de Caroline Delaporte, cinéaste marseillaise, réalisé dans le cadre du Studio Autonome du Cinéma de RecherchE.
Elle a aussi bénéficié de cette véritable « école de cinéma » que sont les Ateliers Cinématographiques Film flamme où s’expérimente le cinéma vivant en 16mm, la liberté de geste, libéré de l’objet comme du sujet… Là où s’expérimente le son « ouvré » qui donne son ampleur à l’image, qui rejoue la représentation, la re-création du monde… Son irréalisation.
 
Venant de la « performance », du cirque, du spectacle vivant, elle a développé film après film un univers particulier en déséquilibre sommaire autant que rigoureux. Un art approximatif qui au terme ne laisse évidemment rien au hasard.
Que « la part des anges ».
 
Ce cinéma est résolument hors industrie. Hors « politique des auteurs » avec le « brevet de savoir faire » qui plaît tant aux belles-mères en ce qu’il permet de se recycler dans les cosmétiques en période de vaches maigres.
Aussi nous voulons revendiquer haut et fort la richesse de ces artistes venus au cinéma sans en partager les travers, les petits arrangements, les tics et vertus, les gloires, simplement parce qu’ils sont ailleurs.
 
Non pas que nous soyons les premiers sur ce terrain à dire que le cinéma s’enrichit de ses marges, de ses peintres, de ses clowns, de ses musiciens, de ses écrivains, de ses plasticiens… devenus cinéastes (je ne mets pas de noms, nous les connaissons tous)…
Nous ne sommes pas les premiers, mais l’époque est à la froidure… Les films ne sont guère regardés et surtout pas entendus. On y cherche la révélation, la vision, le regard, que sais-je encore qui dévoile… Alors que le cinéma n’éclaire rien, n’est qu’ombres chinoises, cheminement invisible d’un objet pesant détourné de sa fonction, lancé dans l’inconnu d’une visite…
 
En 3-4 films tournés en S.8mm, Caroline Delaporte a ainsi tracé son chemin, lancé devant elle le signe secret des « Stalker ». Elle n’arrive nulle part…
C’est-à-dire en Pologne.
 
Et nous pensons que « Pologne » peut être entendu. Oh bien sûr, nous dirons à l’encontre du film, que tous les festivals l’ont refusé jusqu’à présent !
Il n’y a aucune conclusion (pratique) à en tirer.
 
Pour autant nous voulons tranquillement lui permettre de trouver ses publics et ses défenseurs, ceux capables d’entendre que le travail de création sonore qui est à l’œuvre dans « Pologne », est dans la meilleure tradition du cinéma français. Elle prend Malraux au mot qui écrivait « L’ancêtre de la bande son du cinéma, ce n’est pas la symphonie, c’est la pièce radiophonique ». Elle marie « L’art des bruits » de Russolo et « les mouettes du pont d’Austerlitz » de F. Musy.
Ce n’est pas le seul mariage du film.
 
Nous attendons de ce film qu’il ouvre les portes pour les prochaines (et précédentes) réalisations de Caroline Delaporte. Mais au-delà, pour des cinéastes venus au cinéma par la porte de service…
Avec un sourire comme une pelle à tarte.

 

Auteur/autrice : Caroline Delaporte

dessin, films, performances